tell me some things last (jamie beauregard)

Il était lourd comme une roche, ce gars-là. C’était ce que je ne cessais de me répéter alors que je le traînais en dehors de la voiture, un de ses gros bras autour de mes épaules, dans les escaliers qui menaient au petit palier dans l’entrée de la maison de sa petite sœur.

Ezra grogna, m’indiquant qu’il voulait s’asseoir, mais je ne le laissai pas faire. « Une minute, mon gars. Donne-moi juste une minute. » Je lui jetais des petits regards inquiets, de temps en temps, mais je m’arrangeais pour qu’il ne s’en rende pas compte. De toute façon, son œil, celui de mon côté, était tellement enflé que je doutais qu’il n’arrive à y voir grand-chose. Il allait s’en rappeler, de ces petits salauds-là. Je savais qu’il ne l’oublierait jamais, et je leur souhaitais presque de ne pas retomber sur Ezra. Presque, parce que l’un d’eux m’avait quand même ouvert le visage.

Le liquide chaud que je sentais tout-à-l’heure couler sur ma joue, il était maintenant en partie séché. Toute expression de ma part le faisait craqueler, et je sentais à nouveau cette chaleur familière, celle qui s’accompagnait d’une brûlure désagréable. Le pire, c’était mes flancs, mes côtes, là où j’avais pris deux ou trois coups de pieds avant qu’Ezra ne le plaque comme un joueur de rugby et prenne lui-même un coup au visage.

Je tambourinais si fort dans la porte que je me demandai pendant un instant si elle allait répondre. Après tout, elle savait dans quel genre de merdier pouvait baigner son ainé. Elle savait qu’il se tenait avec des gens peu fréquentables. Allait-elle avoir peur?

La porte s’ouvrit d’un coup et, le bras encore en l’air, j’entrouvris la bouche. L’expression de panique qu’elle arborait, ses yeux aux couleurs de l’océan plantés dans les miens, pleins de reproches, m’empêchèrent de réfléchir. « J’ai besoin d’aide. » Ce fut tout ce que j’arrivai à dire.

Nous déboulâmes dans le salon et j’eu à peine le temps de laisser tomber le gaillard sur le sofa qu’elle était déjà à genou près de lui, à l’examiner, à évaluer l’étendue de ses blessures. La voix tremblante, je sentais son inquiétude, l’amour qu’elle avait pour lui, la haine qu’elle avait alors pour moi, lorsqu’elle m’ordonna d’aller chercher son kit de secours dans la salle de bain.

Je m’exécutai aussi vite que possible. Une fois que j’eu trouvé la bonne porte, je me précipitai vers les petites armoires sous l’évier et en vidai le contenu sans ménage jusqu’à tomber sur la petite boîte de plastique blanche. En me relevant, je m’aidai d’une main sur le comptoir, une grimace au visage. Je failli tomber en me prenant les pieds dans le tapis de douche, puis me redressai, courant presque jusqu’au salon. « Voilà. » Je lui tendis le kit, et je m’éloignai d’eux de quelques pas, question de ne pas être dans leurs jambes.

Je m’appuyai contre le mur qui faisait face aux blonds, complètement impuissant à la situation, et me laissai glisser jusqu’au sol. Je massais et faisais tourner mon épaule douloureuse, celle qui avait supporté le poids de mon ami, un gars que je considérais comme mon frère, un gars pour lequel je serais mort.

Je ne savais même pas combien de temps s’était écoulé, combien de temps je m’étais contenté de la regarder faire, quand elle se tourna finalement vers moi. Je m’attendais à ce qu’elle me demande de partir, qu’elle me dise de foutre le camp, mais je ne savais honnêtement même pas si j’arriverais encore à me relever tout seul.

Même si je le méritais, je la coupai « J’suis désolé. » alors qu’elle m’injuriait. « C’était ma faute. » Oui, c’était toujours de ma faute, et pourtant Ezra était continuellement là pour me sauver les miches. Une chance, parce que travailler pour un gang, particulièrement le Byrd gang, c'était dangereux. Des alliés, des amis, des gars sur lesquels on pouvait vraiment compter, on en avait jamais de trop.  

« Je suis désolé. » Cette fois, je ne parlais pas pour son frère, mais simplement pour lui avoir fait vivre cette merde, pour être débarqués comme ça chez elle.

Elle pinça les lèvres, agacée, mais visiblement partiellement satisfaite du fait que je m’en voulais. Je ne sais pas pourquoi, mais elle s’approcha alors de moi et me fit tourner la tête sur le côté. Je la regardais du coin de l’œil, incertain de la façon dont je devais me comporter, alors qu’elle détaillait la plaie sur mon visage, puis qu’elle entreprit de la nettoyer avec une compresse humide.

Ce fut la première fois que je la détaillais, la première fois que je me permis de vraiment la regarder. Ses grands yeux, ses lèvres, la ligne de sa mâchoire, celle de sa clavicule, délicate comme une fleur. Elle était magnifique, à tomber par terre.

Elle pencha la tête sur le côté en s’éloignant légèrement de moi, semblant être à la recherche d’une autre blessure visible. Je la laissai faire, et lorsqu’elle sembla remarquer les hématomes sur mes jointures, je les cachai dans les poches de mon sweatshirt. Sans m’en rendre compte, je découvris du même coup une partie de mon ventre, juste assez pour qu’elle en ait remarqué la couleur anormale, entre le rouge, le bleu et le violacé déjà.

Elle se leva en soupirant, quitta la pièce un instant.

Plus jeune, je n'aurais jamais imaginé être le genre d'homme à menacer des petits dealers, contrôler les stocks de drogues ou encore fournir de la drogue à des représentants dans le but qu'ils la revendent à leur tour. La drogue, c'était un marché beaucoup plus compliqué, politique, hiérarchique, lucratif et violent que je ne l'aurais jamais imaginé. Adolescent que j'étais, comment est-ce que j'aurais pu me douter que cela ferait partie entière de mon monde quand j'ai moi-même commencé à prendre de la drogue? D'abord douce, comme le cannabis, puis assez vite, de plus en plus forte, comme la cocaïne et l'héroïne. J'y ai rapidement trouvé refuge, entre deux ou trois cuites de mon père, celles où il battait ma mère, celles où il tentait parfois de s'en prendre à nous, moi, mes frères et mes soeurs aussi. C'était idiot, je le savais, mais ça m'engourdissait, m'enivrait, et c'était si bon, à l'époque, de ne pas seulement penser à ce qui se passait chez moi.

Je me dis que ça avait aussi surement à voir avec les gens avec qui je trainais. Mes copains de lycées n'était pas des plus fréquentables non plus. Je me demandai alors ce qu'ils étaient devenus, ceux-là. J'avais réussi à calmer, diminuer ma consommation, assez pour bien fonctionner, avoir les idées claires, éviter d'avoir trop de dettes, et aussi d'avoir des problèmes avec mes patrons. Eux, je crois qu'ils n'ont jamais arrêtés. Je ne voulais pas me l'avouer, mais j'étais presque sur que certains d'entre eux en étaient morts, et ça me terrifiait.

Une porte de congélateur plaquée plus tard, Eve réapparue avec un sac de légumes congelés qu’elle me tendit.

J’haussai les sourcils, surpris qu’elle s’occupe ainsi de moi. « Merci. » soufflai-je en acceptant le sac, le posant sur mon flanc gauche en serrant les dents. Je ne voulais pas me faire de films, une femme comme elle ne voulait rien savoir des hommes comme moi.